Chemin Daniel-Ihly 4, Petit-Lancy

Sur la piste fait parler le quartier de son passé à son avenir. Un vaste plancher, légèrement incliné, recouvre une tranchée qui permet de s’enfoncer sous terre. Sont à lire et à entendre des récits qui écrivent le site et ses environs. On marche, s’assoit, s’allonge sur le plancher; on y danse. Le corps s’approche ou s’éloigne ainsi des textes écrits, tandis que, sous terre, isolé des bruits extérieurs, on écoute, recueilli, ce que des voix racontent et projettent. Tandis que la terre excavée s’est couverte de plantes vagabondes et sauvages, de coquelicots, fenouils, soucis, clématites des haies… Graines enfouies surgies à nouveau, comme la friche d’une histoire en devenir.

 sur-la-piste-2

Voir le texte incrusté dans le plateau de Sur la piste

Les auteurs
Toplamak union d’artistes à géométrie variable, fondée en 2013 par frédéric Dumond et Eric Watt. A géométrie variable, l’union s’agrandit ou se réduit selon les projets: duo, trio, il peut devenir quintet, octet, etc. Toplamak est un verbe turc qui signifie réunir les amis. Pour « Sur la piste », Toplamak s’est fait deux + un : les artistes frédéric Dumond et Eric Watt + le graphiste Philippe Bretelle.
frédéric Dumond né en 1967, artiste, Montpellier, FR. Auteur des textes écrits de « Sur la piste ». Formation en lettres supérieures, histoire de l’art et art. Passionnément immergé dans les langues; à ce titre mène un projet intitulé Glossolalie portant sur quelques sept mille langues (cf. ci-dessous «frédéric Dumond par lui-même») et auteur de nombreuses performances, publications, expositions, diffusions, installations, etc.
Eric Watt artiste, Nantes, FR. Auteur de la piste sonore de « Sur la piste ». Le travail d’Eric Watt s’inscrit à la lisière des champs des arts plastiques, du cinéma et du documentaire. C’est d’ailleurs aux Beaux-Arts de Tourcoing, puis à l’INSAS, école de cinéma de Bruxelles, qu’il s’est formé. En développant ensuite une collaboration suivie avec le Théâtre Paris-Villette, dans le XIXe arrondissement parisien et le Centre Dramatique Poitou-Charentes, il a noué des liens forts avec le spectacle vivant. Réalisateur de films et vidéos diverses (Le voyage liquide, Sozusagen, Eloge de l’arbre, L’éloignement, etc.).
Philippe Bretelle collaborateur, graphiste, créateur graphique des textes imprimés de « Sur la piste »

Piste 2a

Ce qu’ils en disent
Qu’est-ce qu’un lieu-dit ? Que dit un lieu ? « Sur la piste » est une manière de réponse, née du désir de faire parler le territoire qui l’accueille. Faire parler un lieu, c’est révéler ce qui y existe consciemment et inconsciemment, c’est mêler de manière inextricable la mémoire et le présent; c’est signifier qu’il y a des histoires «sous» tout ce qu’on voit.

frédéric Dumond et Eric Watt ont arpenté chaque jour le Petit-Lancy, pendant trois semaines, ce qui permis de multiples rencontres et entretiens avec les habitants du quartier. Le temps de sentir, de s’imprégner, d’être dans et avec le territoire et ceux qui le vivent. Cela a permis d’imaginer ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle mais aussi d’espérer ce qui viendra. De cette imprégnation du lieu, de ce temps passé dans, autour, avec, et des recherches menées conjointement, sont nés deux ensembles textuels: celui qui est imprimé à même le plancher de la piste, celui qui est audible quand on s’enfonce dans la terre dans la chambre d’écoute aménagée sous la piste.

La piste sonore fonctionne comme une bande-son de film: par une stratigraphie temporelle de rythmes disparus et d’aujourd’hui, de souvenirs vécus, de fragments d’archives, de micro-fictions, elle donne à entendre une histoire du lieu faite de multiples fragments singuliers. Les textes peints, eux, ont été écrits ou choisis en fonction de ce qui a été perçu pendant le séjour de l’équipe à Lancy. Chaque texte évoque une part d’un réel raconté par les habitants, les artisans ou perçu par les auteurs. Ces textes imprimés selon deux axes, en différentes tailles et polices de caractères, induisent chez le visiteur une chorégraphie de déplacements et de gestes selon ce qu’il lit.

L’installation crée un espace de mémoire praticable, une aire historiée où chacun est convié à rester, se reposer, s’imprégner, bouger comme il l’entend. Il est conçu pour qu’on y passe du temps, comme dans une mémoire retrouvée, aussi bien que dans un futur à inventer, où on peut décider de planter les pelouses de légumes et de fruits, de mêler hier et demain sans table rase. C’est un travail d’échelle, un plateau de danse, comme une réduction – terme de cuisine – du quartier du Plateau. Même si «une carte n’est pas le territoire» (Alfred Korzybski).

sur-la-piste-4

L’équipe Toplamak et sa philosophie
Toplamak, à son origine, est une manière d’éprouver la rencontre entre deux artistes dont l’un des points communs évidents est le désir de parler la langue de l’autre. Nous citons volontiers Edouard Glissant: «J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre. Ma proposition est qu’aujourd’hui le monde entier s’archipélise et se créolise.» Ce n’est pas ce qui se passe partout, tant s’en faut. Notre travail consiste à alerter (c’est notre vigilance) mais aussi à désirer et donc à réaliser – même de manière utopique – ce monde qu’Edouard Glissant appelle de ses vœux, un monde où «tout change en échangeant».

Mettre l’autre, le proche, celui qui se trouve là où on est, au cœur du dispositif de travail, cela ne veut pas dire rester dans son village, son quartier, sa cité. Cela veut dire travailler avec l’autour, où qu’on soit. L’artiste doit voir du pays, se confronter aux langues, aux mémoires, il doit déplacer son regard.

Mais travailler avec l’autre et l’autour, c’est aussi faire de chacun la pièce d’un ensemble; c’est faire ensemble quelque chose de plus grand que chacun seul dans son coin. C’est créer une communauté de travail; c’est un geste politique tout comme l’écologie est avant tout politique. C’est travailler pour tous, et pas pour quelques-uns seulement. C’est comme ce que Gilles Clément appelle le Tiers paysage, là où ça pousse tout seul, qui appartient à tous, sans nécessité de production, d’appartenance, de distribution. Ce serait l’art des tiers.

Il n’est pas besoin de retourner la terre, de creuser, d’ajouter des fertilisants et de la chimie. Les «gens», comme on dit, sont le terreau d’une forme à inventer par l’artiste, une forme qui pense et donne à penser. Avec des moyens simples, ce qui ne veut pas nécessairement dire avec trois bouts de bois et de la ficelle, mais avec des outils immatériels, tels que sont aujourd’hui les outils numériques, images et sons; mais aussi calligraphie, écriture gravée, sonore, électronique, pixels et poignées de mains. Des outils dans le flux, le transport (des cœurs), l’échange plutôt que la communication.

sur-la-piste-3

Eric Watt par lui-même
“Ce qui guide mon travail depuis des années, c’est la question suivante: faire quoi avec qui et pour qui? Ma rencontre avec le spectacle vivant n’y est pas pour rien. «Faire quoi avec qui ?», c’est poser la question du spectateur avant même que l’objet artistique ne soit créé.

Pour le comprendre, il faut voir le mot «comprendre» au sens de «prendre avec». «Prendre avec», c’est, d’une certaine façon et avant toute aventure, constituer une communauté de travail avec laquelle je vais construire, dans un réel échange, un récit, un journal, une fiction, peut-être les trois à la fois, avec les médias que sont l’image, le son mais aussi le dessin, l’écriture, le journal intime ou le journal radio. Après cette partie d’échange et de tournage, l’artiste se retire dans son atelier, la salle de montage. Le montage constitue alors comme un moyen de pensée contemporain.

Luttant contre l’antagonisme récurrent opposant fiction et réalité, ma démarche repose sur un tressage de modes de représentation qui emprunte simultanément à l’interview, au théâtre, au décor filmé de cinéma, au doublage. Je pose ainsi la question de l’Autre, de l’étranger, à travers les limites de la traduction.»

sur-la-piste-1

frédéric Dumond par lui-même
«Depuis le début, je travaille sur la langue, sur les langues. Qu’elles soient étrangères ou idiomes de spécialistes, il est question de parler toutes les langues, de travailler dans tous les modes d’expression, de pénétrer des contextes et des logiques propres, d’expérimenter des expressions autres, de s’y attarder un temps pour les comprendre et y écrire. D’où des projets développés à l’occasion de résidences à l’étranger ou en entreprise (Barcelone, Budapest, Yokohama, Québec, Rennes).

D’où aussi l’utilisation de médias différents, pour leur vitesse et dynamique propres. Chaque média est utilisé comme outil, comme mode d’expression, comme le lexique le plus à même de donner forme à un projet. D’où encore, souvent, le croisement de différents médias au sein d’un même projet. Ainsi, Glossolalie, le projet que je développe depuis trois ans, est à la fois présent dans l’espace réel et dans l’espace virtuel, sous la forme d’installations, de publications ou de performances et, dès juin 2014, se déploiera via une application pour smartphone et tablette tactile. Pour chaque projet, le texte est une matrice qui se déploie en autant de formes que nécessaire.

Glossolalie est un projet plastique et textuel qui s’écrit dans l’ensemble des 7000 langues de la planète (langues vivantes ou dites mortes mais en dehors des langues dominantes). Le projet veut réunir ce qui est dispersé, se veut la mémoire activée de ce qui est ignoré, en voie d’extinction ou mort: une présence du vivant des langues, alors que chaque année plus de 25 langues disparaissent et, avec elles, autant de visions du monde, autant de connaissances. Il s’agit d’un voyage dans les 6000 langues encore parlées sur la planète, parmi les traces des langues mortes et dans les protolangages, peut-être dans les langues inventées.

Ce projet s’articule autour d’un noyau, un vaste poème qui se déploie d’une langue à une autre: à ce jour, le poème commence en obdorsk khanty, se poursuit en ket, en bambara, arawak, burushaski, navajo, gaulois, sud qikiktaaluq, etc. Il en existe, pour le moment, 35 fragments en 35 langues. Glossolalie est un processus sans fin, par sa dimension encyclopédique et parce que le poème se reconfigure en permanence à chaque fois qu’un nouveau fragment s’y agglomère.»

Liste des plantes
Coquelicot – Papaver rhoeas
Fenouil commun – Foeniculum vulgare
Souci officinal – Calendula officinalis
Clématite des haies – Clematis vitalba L.
Vesce de printemps toplesa – Fabaceae
Seigle – Secale cereale L.
Sarrasin harpe – Fagopyrum esculentum
Lin – Linum usitatissimum L.
Serradelle – FabaceaeTrèfle incarnat – Fabaceae

Lien utile
Toplamak

Mise en œuvre
Biedermann SA, les métiers du bois, Chêne-Bougerie
Kokopelli, semences
Germinance, semences
Induni SA, Lancy

Partenaire
Vincent Du Bois (Cal’as), sculpteur funéraire

Agenda 
- 14 juin-4 octobre : bande sonore créée par Eric Watt comme une bande-son de film. L’ensemble de textes imprimés (dont l’imposition et le graphisme sont dus à Philippe Bretelle) sont écrits ou choisis par frédéric Dumond, en fonction de ce qui a été perçu pendant le séjour. Chaque texte évoque une part d’un réel raconté par les habitants, les artisans ou perçu par l’auteur.
- Soirées musicales en collaboration avec le comité des fêtes de la CIGUE
- Soirées lecture: invitation de la Maison de la poésie transjurassienne